Premier article d’une petite série dédiée à une demande fréquente dans mon cabinet : GÉRER LA COLÈRE. En compagnie de 12 femmes, je vous propose d’explorer et découvrir cette émotion qui pose tant problème. Et de découvrir comment ça se passe dans un cabinet de thérapie psycho-corporelle, où j’utilise la sophrologie, l’EMDR, et des techniques conversationnelles orientées sur l’accompagnement existentiel.

Et même si la colère ne constitue pas l’objectif de travail principal, elle est souvent là, derrière la faible confiance en soi, le stress, les problèmes de sommeil, les douleurs… Cette demande émane plus souvent des femmes. Aussi vais-je orienter ces articles sur les femmes (sans oublier que certains de ces propos peuvent aussi concerner les hommes) et la spécificité de cette émotion genrée qu’est la colère, dans ce sens qu’elle est vécue différemment, avec des impacts différents, selon votre genre.

Claire ou la charge mentale

J’ai reçu il y a quelques temps une femme de 35 ans, appelons-là Claire pour respecter son anonymat. Claire a un job à temps plein dans le marketing, deux jeunes enfants dynamiques et curieux, un chat, et un conjoint au chômage depuis trois mois. Pourtant, à la maison, c’est encore elle qui s’occupe d’à peu près tout, même si le conjoint ne demande qu’à « aider » et veut bien emmener les petits chez le pédiatre… encore faudrait-il que Claire laisse un post-it pour qu’il y pense. Bref, un parfait exemple de charge mentale. Qui est aussi physique.

Claire a des tensions dans la nuque et les épaules de plus en plus douloureuses (« mais bon, j’ai l’habitude »), fait du bruxisme qui lui donne des maux de tête au réveil, dort globalement mal et est fatiguée en journée, n’a plus de désir sexuel et s’énerve facilement auprès des enfants, déçue de ne pas leur avoir obtenu un diagnostic d’hyperactivité qui aurait pu mettre les petits sous Ritaline, histoire de lui accorder un peu de répit. Et elle culpabilise de penser ainsi, de ne plus désirer son homme, de se sentir incompétente dans ses « rôles » de mère et épouse, et de piquer des crises de colère qui la déborde littéralement. Dès la première séance, elle s’effondre en larmes, épuisée. Épuisée d’avoir à penser à tout, épuisée des enfants, épuisée de ce conjoint dont les oreilles ont dû siffler ce jour-là. Claire lâche les vannes…

Sois belle et tais-toi… ou pas

Je demande toujours à mes client·es en proie à cette vicieuse émotion : qu’appelez-vous « gérer la colère » ? Les réponses varient mais avancent dans la même voie : ne plus la ressentir, la faire taire, la faire disparaître. Eteindre le feu qui consume de l’intérieur. Car la colère rentrée, celle que certaines s’acharnent à refouler, à « gérer » tant bien que mal, provoque de nombreux maux : tensions dans tout le corps, douleurs en tout genre (céphalées, migraines, tensions des mâchoires, douleurs intestinales), ruminations qui perturbent le sommeil et créent de la fatigue, donc irritations diurnes. 

Ces femmes font rarement le lien entre leur colère et ces douleurs. Or, éteindre la colère demande une énergie considérable, donc épuisante. Le corps se met en tension, se crispe pour ne pas laisser sortir la rage et rester stoïque, élégante, cool. « Sois belle et tais-toi » n’a rien d’une passive langueur, c’est un sacré boulot, très énergivore ! Car il en faut de l’énergie pour venir contrer cette vive émotion pourtant essentielle à l’intégrité humaine, alors que notre société patriarcale ne manque pas d’occasions de mettre les femmes en colère. Je suis souvent impressionnée par toutes les stratégies mises en oeuvre par ces personnes pour s’éteindre de la sorte, et cette volonté de travailler sur elles en sophrologie (ou autre approche thérapeutique), de mettre encore tant d’efforts, de patience, de temps, d’argent aussi, pour parvenir à cette amputation de soi afin de ne pas passer pour la furie, l’hystérique, la foldingue, l’enragée, l’aigrie, la mal-baisée, la vieille grincheuse, la féminazie, la relou capricieuse… (on a l’embarras du choix ! Si vous êtes sexy (= si vous correspondez aux normes de la sexyness en cours), on vous trouvera volcanique. Si vous êtes noire, on mettra ça sur le compte de votre hargne naturelle…).

Donc oui, on va travailler sur la colère. Non pas pour l’éteindre, et la faire disparaître (je ne suis pas Houdini) mais pour la libérer, pour jouer avec le feu. Comprendre, écouter, apprendre à s’en servir, et mettre toute cette énergie au service d’autre chose. Améliorer ses relations, à soi-même et aux autres. Bref, vivre mieux, et c’est déjà énorme. 

En tant que femme, j’ai moi-même traversé les somatisations conséquentes de la colère refoulée. Avant de travailler sur moi. Aujourd’hui, la colère est une de mes émotions préférées. Loin d’être une émotion « négative », elle est devenue une précieuse alliée. Et c’est sur ce cheminement que j’accompagne mes clientes (et mes clients).

Les maux de la colère… ou le syndrome de la cocotte-minute

Parmi mes clientes, nombreuses sont celles qui s’habituent à leurs souffrances, ne s’étonnant plus de se lever le matin avec des maux de ventre ou d’avoir une migraine de plusieurs heures chaque semaine. « C’est normal, c’est comme ça, je n’y pense même plus, ça fait tellement partie de moi »… Elles nient, elles minimisent. « Y’a pire ». Et puis les femmes souffrent, c’est comme ça, les règles, l’accouchement… c’est comme une vocation ! Ève, le péché originel, tout ça tout ça.

Or la colère refoulée se traduit, inconsciemment, par des douleurs physiques, par de la somatisation : un état mental et émotionnel non exprimé se répercute dans le corps. On sait désormais que la colère refoulée provoque du stress, une montée déboussolée de cortisol, des troubles endocriniens, cardiaques, musculo-squelettiques, digestifs, une chute d’anti-corps. Ce qui amplifie les risques de maladies (cancers, sclérose en plaques, fibromyalgie) dont les femmes souffrent plus que les hommes. Non pas que la colère provoque ces maladies, mais elle en est un facteur de risque. Même les ruminations amplifient la douleur. Les femmes souffrent trois fois plus du syndrome du côlon irritable, et à ceux qui répondraient que ce doit être hormonal, un truc de bonne femme, sachez que cette proportion est inversée en Inde où ce sont les hommes les plus touchés.

La colère s’exprime, toujours : même si on se tait, c’est le corps qui parle, et lui ne prend pas toujours des pincettes.

En bref, la colère s’exprime, toujours : même si on se tait, c’est le corps qui parle, et lui ne prend pas toujours des pincettes. Le corps de Claire s’exprime à travers ses douleurs, son bruxisme, et le report de son énergie depuis sa libido vers ses efforts à maintenir la colère sous le couvercle. Et pendant que vous protégez les autres de votre hargne (l’injonction à ménager et prendre soin de son entourage est très pesante pour les femmes), c’est vous qui souffrez, transformée en cocotte-minute. D’où l’intérêt de passer par une approche psycho-corporelle, la sophrologie, ou ce que vous voulez (je ne fais pas de prosélytisme, n’hésitant d’ailleurs pas à recommander à mes clientes une autre approche thérapeutique, kinésiologie ou massage, quand c’est pertinent dans leur accompagnement).

En sophrologie, la première étape sera de faire un « état des lieux » et d’écouter ce corps qui parle parfois si fort : nous faisons un point sur la santé et apprenons des techniques de relaxation, visualisation et respiration pour prendre conscience de son corps, des tensions, des douleurs, diminuer le stress, pour se mettre à l’écoute de cette colère, l’accueillir, pour relâcher ces tensions accumulées afin de se défaire de cette lancinante carapace, expulser cette colère emmagasinée. Et profitez du relâchement. Car une fois apaisé·e, on peut faire face plus sereinement à ses difficultés. La raison n’étant plus submergée par l’émotion et les ruminations, il sera possible de prendre de meilleures décisions.

La colère, une émotion primaire… et positive

Une autre partie importante de mon accompagnement est plus pédagogique. 

A votre avis, à quoi sert la colère ? A cette question que je ne manque pas de poser, c’est presque toujours la même réponse qui surgit d’emblée, comme un cri désespéré : à rien ! Ça m’encombre, voilà tout.

Pourtant, la colère est une émotion fondamentale, dite primaire, comme la tristesse, la joie et la peur. A la différence des émotions secondaires (comme la honte, la culpabilité ou la fierté) qui sont apprises, contextuelles et culturelles (si vous vous retrouvez nue en France, dans la rue, vous pouvez ressentir de la honte, ce qui ne sera pas le cas sur votre plage naturiste ou votre tribu d’Indiens Huaorani, et ne devrait pas être le cas avec votre amoureux·reuse, mais ça c’est encore un autre problème), les émotions primaires sont innées, automatiques et spontanées. Donc ne peuvent être refoulées ! Sauf au prix de maints efforts énergivores, douloureux et auto-destructeurs.

Une émotion primaire est une réaction physiologique à un stimulus. Pour faire simple, une situation est perçue par l’amygdale et provoque une charge émotionnelle, libérant des hormones, une tension du corps afin de pouvoir réagir à cette situation : par exemple, fuir ou agir. La décharge de l’émotion, c’est-à-dire son ex-tériorisation, son expression, l’expulsion de cette pression, permet de retrouver l’équilibre. En bref et simplifié, l’émotion c’est : charge – tension – décharge.

En bref et simplifié, l’émotion c’est : charge – tension – décharge.

Cette décharge peut être, par exemple, rire et sautiller (joie), pleurer (tristesse), crier (peur), vomir (dégoût).

L’émotion est donc une information qui nous permet de réagir face à une situation, et de réguler notre état interne afin de préserver son intégrité. C’est pourquoi je ne parle jamais d’émotions « négatives », puisqu’elles ont toutes un rôle positif. Certaines sont plus désagréables que d’autres, voilà tout.

Dans notre société, l’expression des émotions doit rester mesurée, parce qu’on est civilisé·es tout de même. Et notre culture alloue des temps et des espaces bien définis à l’expression des émotions, même primaires. Si vous vous mettez à hurler de joie en vous roulant par terre quand vous recevez vos chèques-cadeaux de Noël au boulot, on vous regardera de travers. Par contre, si vous faites la même chose quand la France marque un but à la Coupe du Monde de Foot, ça passe. Ce rite sportif est d’ailleurs, je crois, un SAS de décompression émotionnel de la joie, qu’on ne s’autorise pas assez à exprimer. 

Décharger sa colère… ou comment ne pas démembrer les relous sexistes

Concernant la colère, quand un inconnu demande à une femme de sourire dans la rue comme si elle était un élément pour agrémenter son décor, ou l’insulte parce que sa jupe est trop courte ou pas assez ou trop rouge ou pas assez ou trop transparente ou pas assez (stimulus), on sent monter la colère et l’envie de décharger (l’insulter en retour, l’envoyer bouler, crier, le gifler, taper du pied, arracher ses membres un par un, l’attraper par les cheveux et lui exploser la tête contre une voiture ou… imaginez ce que vous voulez, selon le degré de colère accumulée !). Si cette décharge n’a pas lieu, la tension corporelle mobilisée reste dans le corps. Si ces situations ou d’autres se répètent sans que jamais la décharge ne puisse avoir lieu (se taire, serrer les dents, ne pas réagir, rester chic et stoïque), ces tensions s’accumulent, entraînant stress, fatigue, douleurs, irritabilité continue. Et parfois, la vanne finit par s’ouvrir, une goutte d’eau vient faire déborder le vase et reçoit un flot de colère engrangée qui parait alors, et pour cause, disproportionnée par rapport à la situation.

C’est ainsi que Claire s’emporte dès que son compagnon lui lance une petite remarque qui lui semble pourtant anodine et la transforme en « hystérique », ou se met à crier sur son fils qui fait tomber la télécommande, alors même qu’elle se rend compte que ce n’est pas dramatique. Un rien l’irrite, car il y a sous le couvercle un bouillonnement prêt à siffler au moindre stimulus. Comprenant cela, Claire parvient déjà à réduire son niveau de culpabilité, cette culpabilité de ressentir ce qu’elle ressent.

Alors, revenons-en à notre question initiale : à quoi sert la colère ?

C’est une émotion de réparation, face à une blessure, une attaque, une frustration. Elle exprime le dépassement d’une limite, d’une attaque de votre corps, de votre identité, de vos valeurs. Elle permet donc de dire « non » ou « stop » parce que quelque chose va trop loin, permet de se faire respecter, de rétablir l’équilibre d’une relation en cas d’offense ou d’injustice. Elle restaure l’intégrité. La colère est ainsi au service de l’harmonie relationnelle.

La colère est une émotion de réparation, face à une blessure, une attaque, une frustration.

En sophrologie, on travaille à repérer cette colère, identifier ses premiers signes dans le corps, de manière à réagir plutôt que la laisser s’installer dans notre ventre ou nos articulations, à la décharger d’une manière plus socialement acceptable que démembrer un relou sexiste dans la rue (ce qui vous expose à des poursuites judiciaires. Ce serait dommage). En prenant l’habitude d’accepter cette colère qui est là, de toute façon, et de la décharger immédiatement par des moyens plus adaptés à la situation, on n’entasse plus cette colère en soi. Apprendre à dire non, par exemple : ça paraît simple mais ça peut être beaucoup. 

Dans l’accompagnement, j’utilise là des exercices de sophrologie mais aussi des techniques de Communication non violente. L’EMDR est également un de mes moyens pour se décharger de toute la colère passée emmagasinée et qui n’a pu l’être sur le moment.

Au fur et à mesure des séances, Claire ressent et prend conscience de ses besoins à elle, qui ont été totalement oubliés dans cette histoire familiale. Si son conjoint ne se trouve pas du tout sexiste, le couple n’en reproduit pas moins les injonctions de notre société patriarcale où la charge de la famille incombe toujours « naturellement » à la femme. Claire parvient par son entraînement sophrologique (oui il y a un entraînement, je confirme qu’il n’y a rien de magique) à se défaire de ses tensions, à exprimer plus tranquillement ses limites avec sa famille, et s’étonne même que ses limites soient entendues. Elle réalise qu’elle ne les avaient jamais clairement exprimées, acceptant tout sans broncher, mâchoire serrée, habituée à encaisser pour construire une image de wonder woman et mère idéale. Cette restauration de ses besoins et de son intégrité rétablit un certain équilibre dans la famille, et les enfants le ressentent : s’ils restent bien dynamiques, ils savent aussi se poser. Moins fatiguée, Claire trouve le temps de prendre plus soin d’elle, s’accorde des moments rien que pour elle et a repris des cours de guitare. Et son conjoint avec qui elle renoue un dialogue plus harmonieux « fait des efforts » pour se responsabiliser dans les tâches domestiques et son implication paternelle. Allez, encore un peu de travail et il ira faire les courses sans que la liste soit déjà accrochée au frigo.

La colère a donc aidé Claire à s’affirmer, à retrouver une certaine tranquillité physique et mentale, et a ramené toute la famille à une paix quotidienne. Elle n’a pas disparu de la vie de Claire, mais s’exprime différemment, de manière apaisée… comme une alliée. Comme une bonne amie qui viendrait vous dire : hey, là, ça dépasse les bornes.

À LIRE POUR ALLER PLUS LOIN :

· Marshall Rosenberg, Les Ressources insoupçonnées de la colère Jouvence, 2012. Rosenberg est le créateur de la Communication NonViolente. Ce tout petit livre pas cher, simple et efficace explique à quoi sert la colère et comment l’utiliser.

· Isabelle Filliozat, Que se passe-t-il en moi ? Comment bien vivre ses émotions, Marabout, 2001. Un guide accessible et précieux pour comprendre les émotions ; je recommande sa lecture.

· Soraya Chemaly, Le Pouvoir de la colère des femmes, Albin Michel 2019. Un livre génial et très riche en références sur les spécificités de la colère des femmes, ses raisons et ses répercussions sur leur santé. A voir aussi en ligne : sa conférence Ted sur le même sujet.

· la BD d’Emma sur la charge mentale des femmes : https://emmaclit.com/2017/05/09/repartition-des-taches-hommes-femmes/