Thérapie féministe ?

La thérapie féministe est une pratique largement méconnue en France, quoique répandue dans les pays anglo-saxons et hispanophones. 

Elle désigne une approche de la thérapie nourrie par les théories féministes, conscientes de l’impact du patriarcat sur la santé psychique et le bien-être. Patriarcat, c’est-à-dire ce système politico-socio-culturel dans lequel nous vivons tous et toutes, et qui instaure une hiérarchie sociale privilégiant les caractéristiques et expériences associées au masculin (par exemple : la raison, la force, la violence, l’affirmation de soi), et dénigrant celles associées au féminin (par exemple : la sensibilité, la vulnérabilité, l’expression des émotions), quelque soit le sexe de la personne. Par extension, dans cette stricte logique binaire, c’est tout ce qui n’est pas masculin, blanc, hétéro, riche, jeune, valide qui est dévalorisé voire discriminé : les personnes racisées, les LGBTQI+, les personnes âgées, les personnes avec handicap, les pauvres…

Ce qui complique la chose, c’est que le patriarcat ne dit pas son nom : on n’a pas de cours de patriarcat à l’école, ni de reportage sur M6. Il structure nos vies, normalise nos comportements, mais on n’en parle jamais, on fait comme si c’était « normal ». C’est l’éléphant dans le salon, sauf qu’on vit à l’intérieur de cet éléphant en quelque sorte. Il devient donc plus difficile de le remettre en question (et les féministes peuvent ainsi être traitées de… féminazies).

Ces discriminations ne sont pourtant pas sans conséquences sur la santé. La thérapie féministe considère que le système patriarcal est l’une des principales origines de la détresse humaine. Y compris pour les troubles comme la dépression, le trouble bipolaire, les troubles alimentaires, l’anxiété, etc. Ces troubles ne sont pas des pathologies, du point de vue de la thérapie féministe, mais des adaptations, des stratégies de survie face à la violente oppression de ce système. Une résistance en forme de résilience. 

Ce que dit la thérapie féministe c’est : vous n’êtes pas malades, vous avez fait ce que vous avez pu pour survivre ou vous adapter au mieux (ou au moins pire) compte-tenu du contexte. Et votre réaction est normale compte tenu de ce que vous avez subi ou subissez quotidiennement : pression à être parfaite (mère parfaite, femme parfaite, employée parfaite, et tout ça en même temps) ; injonctions impossibles à tenir (être sexy mais pas pute tout en étant intelligente mais pas trop pour ne pas effrayer les hommes ; être jolie et mince et jeune… toute sa vie, y compris juste après la grossesse ; être souriante et aimable même quand ça ne va pas) ; harcèlement et violences sexistes et sexuelles, etc.

En recourant au contexte socio-culturel patriarcal de la personne venue consulter, la ou le thérapeute féministe l’aide à sortir de la croyance qu’elle est la source du problème. Qu’elle est malade, incompétente, tarée, irrécupérable, hystérique. « Qu’est-ce qui cloche chez moi ? » entend-on parfois. Car cette personne fait d’abord partie d’une culture, d’un groupe social que les lunettes patriarcales observent avec violence en la considérant « naturellement » comme moins bien, ayant moins de valeur, déficiente, responsable de toutes ses souffrances ou de ses échecs, devant subir telle oppression parce que bon, c’est comme ça, les femmes s’occupent des gosses et les hommes doivent être virils, on va pas refaire le monde hein. 

Quand une  personne sort des normes attendues de son genre (ou de sa race, de sa classe), elle s’expose aux risques du rejet, de la stigmatisation, de l’ostracisme, la honte, la culpabilité. Pour éviter cela, certain·nes adoptent ces normes, allant à l’encontre d’elles-mêmes, et finissent par déprimer, boire, manger à s’en faire vomir, ne dorment plus, rongées par l’anxiété et autres maux.

Adopter les normes à en effet un côté rassurant : cela permet d’appartenir. De faire partie du groupe. Et la peur de la solitude est un moteur majeur pour l’être humain, cet animal social incapable de vivre seul.

Quand une  personne sort des normes attendues de son genre (ou de sa race, de sa classe), elle s’expose aux risques du rejet, de la stigmatisation, de l’ostracisme, la honte, la culpabilité.

Le Patriarcat : un système traumatogène

Ce système patriarcal est à l’origine de la violence inter-personnelle. Nombre de traumatismes ont pour cause cette violence : discriminations, harcèlement, violences éducatives, violences conjugales, agressions sexuelles, viols. Les victimes sont des femmes en grande majorité, des enfants, des homosexuel·es, des personnes racisées, avec handicap… des personnes vulnérables, considérées d’emblée comme inférieures. Parfois aussi des hommes ne rentrant pas dans les codes de la masculinité. Comme Théo, 20 ans, venu me voir pour un stress intense, et qui m’apprend que son père « ne supportait pas [s]a faiblesse » donc le punissait souvent à la moindre larme. Ayant appris à contenir ses émotions, Théo souffre de douleurs nombreuses dans le corps. On découvrira que le père lui-même avait subi un important harcèlement scolaire, à une époque où on n’en parlait pas encore. 

C’est aussi le cas de Laetitia, 28 ans, en dépression depuis 3 ans, dont la mère a choisi les études (infirmière quand elle voulait faire médecine), les loisirs (le piano quand elle aurait préféré le basket), ne l’autorisant jamais à s’exprimer à table ou à manifester la moindre rébellion : colère interdite ! Et ces comportements peuvent être traumatisants, en ce qu’ils nient totalement la personne, sa subjectivité, ses ressentis, ses besoins, ses envies. Ils constituent de la violence psychologique et même physique, car il faut un effort intense pour retenir ses émotions, qui sont d’abord des manifestations du corps. Laetitia se sont comme un objet, un « pantin ». Sa mère semble avoir internalisé le sexisme et le reproduit : une femme doit se soumettre, ne choisit pas son propre projet de vie. Pas besoin d’être un homme pour être sexiste. Le problème ce n’est pas les hommes mais le patriarcat qui normalise le sexisme.

Pour Laetitia comme pour beaucoup d’autres femmes actuellement, la situation est d’autant plus complexe qu’un clivage important peut exister entre les générations. Celle d’aujourd’hui, incitée à être libre et faire ses propres choix, et celles qui précèdent, celles de la mère, de la grand-mère, qui n’ont pas toujours pu avoir cette liberté, et ne comprennent pas toujours les comportements de leur (petite-)fille « indocile ».

Pour Laura S. Brown, thérapeute féministe, l’EMDR représenterait la « quintessence » de la pratique féministe.

Face aux violences inter-personnelles, les thérapeutes féministes sont souvent amenées à travailler sur les traumatismes. L’EMDR est une pratique réputée pour traiter les traumatismes, recommandée par la Haute Autorité de Santé ou l’OMS. Cette psychothérapie mise au point par l’américaine Francine Shapiro dans les années 1980 a fait ses preuves sur le trauma. Et comme le dit Laura S. Brown, thérapeute féministe (dans l’article « Feminist Therapy and EMDR: Theory meets practice », article dont je vais en partie m’inspirer ici, au delà de mes propres observations et exemples), l’EMDR représenterait la « quintessence » de la pratique féministe. Rien que ça 🙂

Pourtant la thérapie féministe est une manière d’aborder les problématiques et souffrances plutôt qu’une technique en soi. On peut donc faire de la psychothérapie féministe, de la sexothérapie féministe, de la sophrologie féministe… Alors pourquoi l’EMDR serait une pratique plus féministe que les autres ? C’est ce que je me propose d’observer maintenant, en me penchant plus précisément sur le cas des violences sexuelles.

L’EMDR : débusquer l’inconscient patriarcal 

En EMDR, on identifie un ou des événements traumatisants (ou des moments récents stressants, déclencheurs de malaise important, comme par exemple la difficulté à prendre la parole en public, des phobies, des anxiétés). A partir de cet événement, la personne détermine l’image la plus difficile pour elle, les ressentis et les pensées associées.

Par exemple, Samia, 33 ans, est venue traiter les conséquences d’un viol imposé par son boss il y a près de 10 ans, alors qu’elle était stagiaire, et qui la fait toujours profondément souffrir : grand manque d’estime de soi, moments de tristesse abyssale, « blocages » dans sa vie en général et dans le domaine professionnel en particulier, et plusieurs difficultés somatiques, maux de ventre et eczéma notamment. 

Conformément au processus EMDR, Samia identifie la pire image de ce traumatisme, et y associe un mélange de tristesse, de colère et de honte, et une cognition négative (une pensée, une croyance bien ancrée chez la personne) : « Je suis nulle car je n’ai pas su me défendre ». Cette croyance d’être nulle s’est cristallisée au moment du viol, et la poursuit depuis, s’est ramifiée jusqu’à peu à peu détruire son estime d’elle-même. 

La thérapeute féministe peut remarquer dans ce type de cognitions la trace de ce qu’on peut appeler un « inconscient patriarcal ». D’autres types de cognitions comme « C’est ma faute, je n’aurais pas dû boire » ou « je n’aurai pas dû inviter ce garçon », « C’est ma faute, je n’ai pas vraiment dit non », ou donc ce « Je ne sais pas me défendre », souvent entendues face aux traumatismes sexuels, vont dans le même sens. C’est-à-dire que ces cognitions relèvent d’un ensemble de pensées, de croyances collectives, d’idées reçues associées au viol dans une société patriarcale qui minimise la responsabilité des agresseurs et culpabilise la victime. Ces idées, on les doit à la culture du viol, qui tend à culpabiliser les victimes et donner une fausse image du viol (qui serait toujours l’oeuvre d’un psychopathe dangereux dans un coin glauque, alors qu’il est le plus souvent commis par des hommes ordinaires, le plus souvent proches de la victime, y compris dans le couple). 

Ces pensées sont souvent associées chez les victimes à la honte et la culpabilité. Or ces émotions sont des facteurs de persistance du traumatisme. Elles inhibent et imposent le silence, favorisant la perpétuation de la violence sexuelle. Elles font de la victime la complice involontaire du patriarcat en les empêchant de parler, alors même que ce silence est une stratégie de survie.

Ces croyances révélées en thérapie, injectées dans l’inconscient de la victime bien avant l’agression, viendraient de ces idées reçues encore très présentes dans notre société. Comme si le trauma ne faisait qu’exacerber des idées déjà en germe dans nos cerveaux colonisés par le patriarcat.

Parmi ces croyances, profondément ancrées par la culture du viol, et donc particulièrement résistantes au changement, on trouve :

  • Les femmes suscitent toujours le désir irrésistible des hommes, c’est à elles de contrôler ou cacher leurs corps, leurs tenues, leurs comportements. Donc s’il t’arrive quelque chose, c’est que tu t’es mal comportée, c’est ta faute. C’est que tu as aguiché. Les filles sages, elles, ne sont pas violées. 

Cela véhicule l’idée qu’une femme doit en permanence s’auto-surveiller, se limiter, ce qui est stressant et crée une sorte de clivage, d’obsession à l’auto-observation, l’auto-contrôle. Mais si une femme s’observe trop, on pourra lui reprocher…

Cela véhicule aussi l’idée que la femme n’est jamais vraiment en sécurité, ce qui est une source d’anxiété majeure. Et si elle ne peut sortir seule le soir, cela entrave sa liberté. Or dans une société qui se dit égalitaire et libre, cela favorise une dissonance cognitive aux conséquences importantes : tu es libre, mais tu ne l’es pas vraiment.

  • S’il y a eu consommation de drogues, d’alcool, ce n’est pas un viol. Donc si tu as bu, assume, c’est ta faute, tu es une vilaine fille, tu l’as bien cherché. 

Cette croyance ignore que, juridiquement, l’alcool est une circonstance aggravante, qu’il ait été consommé par l’agresseur et/ou la victime. Quand une femme a trop bu, elle devient vulnérable. Face à une personne vulnérable, on peut faire plein de choses : on lui donne un Doliprane, on la raccompagne chez elle, on la soutient, on prend soin… Mais on ne la viole pas.

  • Si c’est son mari/son mec/son ex, c’est pas vraiment un viol. 

Une idée qui persiste en raison du « devoir conjugal », cette exigence de rapports sexuels dans le mariage. Or le mariage n’a pas à être une servitude sexuelle. L’obligation de relations sexuelles entre époux ne figure pas dans la loi française. C’est la jurisprudence qui a longtemps déduit ce principe du devoir de fidélité. Depuis 1990 (seulement) la Cour de cassation reconnait enfin le viol entre époux durant le mariage. 

Ce genre de croyances brident la victime, qui n’identifie pas toujours le viol, et ne se reconnait pas toujours le droit de parler de viol parce qu’elle a déjà eu des rapports consentis avec l’agresseur par le passé. Elle peut même ne pas en parler et garder dans le secret de la honte ce traumatisme qui pourtant continue à l’impacter. Elle peut aussi penser qu’elle « surréagit », qu’elle en fait trop, que ce n’est pas si grave, et commencer à s’auto-accuser. Alors, la croyance en « l’hystérie » n’est pas loin, qui étouffe toute protestation féminine en la faisant passer pour folie, en la ridiculisant.

Une femme peut considérer que c’est normal de se forcer un peu quand on n’a pas envie, et rentrer dans une spirale de souffrances silenciées.

  • Elle n’a pas résisté, elle n’a pas dit non : c’est bien qu’au fond elle était d’accord. 

Cette pensée-là ignore tout de la réponse traumatique qui immobilise la victime en désactivant sa réponse nerveuse, dans un état de sidération. La peur est si forte qu’elle empêche tout simplement la victime de dire non. De dire quoi que ce soit. Donc quand une femme est agressée et ne dit rien, ce n’est pas qu’elle est d’accord, c’est qu’elle est à ce point effrayée qu’elle n’est pas en capacité de protester.

Elle risque toutefois de se blâmer de n’avoir pas su se défendre, de n’avoir pas su dire non ou de n’avoir pas pu repousser son agresseur. Et d’être blâmée par l’entourage, les équipes médicales. Ainsi de mon propre médecin généraliste qui, alors que je racontais une agression verbale sexiste particulièrement violente qui m’avait sidérée, me demandait : 1) pourquoi ne pas avoir crié ? – 2) pourquoi sortir seule le soir ? (à 20h..) – 3) pourquoi ne pas avoir caché vos cheveux blonds qui attirent les hommes (!!), me suggérant de porter une capuche…

On dit que ce sont aux femmes de se défendre, de se protéger. Problème : on n’apprend pas aux femmes à se défendre, ni physiquement, ni verbalement. Se battre n’est pas censé être leur domaine, ce n’est pas « féminin ». On leur suggère plutôt de rester à la maison et de se cacher.

D’autres croyances encore sont introjectées dans l’opinion publique et les cerveaux : les hommes ne peuvent pas être violés, les hommes violés sont des mauviettes (donc associé au féminin, qui doit être dénigré), ce sont les femmes qui attisent la violence des hommes, elles sont frappées car elles mettent monsieur en colère, c’est normal, elles l’ont cherché. C’est quoi cette mini-jupe rouge, là ? C’est la tentation Madame ! Il ne viendrait pourtant jamais à l’idée de personne de supposer que si vous vous êtes fait cambrioler, c’est votre faute, il ne fallait pas avoir d’aussi jolies affaires chez vous, c’était vraiment trop tentant ce mobilier Philippe Starck, vous cherchez quand même…

Digérer l’émotion… et révéler l’absurdité de l’inconscient patriarcal

Toutes ces pensées construisent l’inconscient patriarcal qui colonisent le nôtre, celui des victimes d’agressions sexuelles, et renforcent le traumatisme en réduisant le pouvoir que la personne a sur elle-même, ces capacités, en la dévalorisant. Que ce type de pensées émergent chez les personnes en traumatisme montre bien à quel point elles ont intégré les idées reçues, les valeurs patriarcales. Car une fois le processus thérapeutique terminé, ces « vérités » paraissent incongrues à la personne qui y croyait pourtant fermement quelques semaines avant. 

L’EMDR permet de changer ce type de cognition négative en pensée plus positive, c’est-à-dire plus aidante pour la personne, et surtout plus proche de sa vérité. C’est le « R » de l’acronyme EMDR, le « Reprocessing », le « Retraitement » de la pensée. Chez Samia, transformer le « Je suis nulle car je n’ai pas su me défendre » en « Je suis quelqu’un de bien » était au départ impossible. Il ne suffit pas de démontrer par A+B à Samia qu’elle n’est pas nulle, qu’elle est intelligente, qu’elle a fait des choses bien. Il ne suffit pas de lui faire visualiser ses réussites, son double Master, ses exploits sportifs de jeunesse. Cela peut même être pire, vécu comme une démonstration de bêtise : Samia pourrait se dire, je sais que c’est faux, mais j’y crois, ce qui montre bien que je suis nulle. 

Il faut d’abord passer par le « D » : la « Désensibilisation », c’est-à-dire dégager la personne de l’emprise émotionnelle du moment traumatique. Samia est encore « coincée » dans la tristesse, la colère et la honte qu’a provoqué ce viol. Comme si son corps n’avait pas pu « digérer » l’événement. L’EMDR aide à digérer ces émotions coincées, à retrouver un rapport sain à l’émotion. Non pas qu’il soit malsain de ressentir de la colère face à un viol – c’est même normal – mais la personne peut rester bloquée dans cette colère, ce qui nuit à son quotidien.

La thérapeute féministe peut prendre un moment pour discuter de ces croyances qui ont envahi nos schémas de pensée. Et pour expliquer les réactions du système nerveux face à l’effroi, ce figement qui l’a empêché de réagir… pour sa survie. Manière, déjà, d’aider Samia à se réconcilier avec ce corps qu’elle voit comme un ennemi dont elle a perdu le contrôle. De l’aider à se dé-culpabiliser. Non, ce n’est pas sa faute. Car une culpabilité sans faute est irréparable et maintient la personne dans la souffrance. 

Le dialogue sera aussi l’occasion d’examiner d’autres croyances inoculées par le sexisme et de comprendre l’impact du patriarcat dans sa vie. De comprendre aussi que l’adoption inconsciente de ces croyances a été un moyen de faire partie de la société, d’appartenir, et sont donc un signe d’une volonté d’exister en tant qu’humain, de maintenir un lien avec les autres. Même s’il est source de tant de souffrances. C’est une manière de remettre du sujet humain là où la personne a été considérée comme un objet.

Une relation thérapeutique égalitaire 

Une thérapie féministe, c’est l’alliance de deux expertises, à égalité.

Mais en dehors de ces échanges, l’EMDR favorise un élément majeur de la thérapie féministe : la relation égalitaire entre la thérapeute et sa patiente / cliente (ou son patient / client). Une thérapeute féministe ne se positionne pas en posture supérieure, de sachant·e qui viendrait poser diagnostic et solutions sur la personne venue consulter. Ce type de relation asymétrique amplifie la perte de pouvoir de la personne sur elle-même, la déleste de ses responsabilités. Pas de diagnostic en thérapie féministe : la personne n’est pas malade, son traumatisme est une réaction normale à une expérience anormale et non un trouble. On évite donc même de parler de Stress Post-Traumatique, qui est une catégorie de trouble psychique selon le DSM (le grand Manuel des troubles psy). La thérapeute a des connaissances thérapeutiques (elle sait par exemple utiliser l’EMDR, elle a des informations sur les conséquences neurologiques d’un événement traumatique) qu’elle propose sans imposer. Et la personne a quant à elle un savoir précieux et unique : elle connait, même inconsciemment, ses besoins, ses ressentis, ses ressources, ses capacités. Elle est experte d’elle-même. Une thérapie féministe, c’est l’alliance de ces deux expertises, à égalité.

Et c’est cette connaissance de soi que l’EMDR vient révéler, pour redonner du pouvoir (empower) la personne en trauma. La thérapeute EMDR l’encourage à écouter sa propre voix, sa conscience, à se faire confiance (ce qu’on trouve bien sûr dans d’autres approches, comme l’hypnose ericksonienne). La technique EMDR en elle-même a une particularité : il y a très peu d’interventions de la thérapeute, et aucune suggestion. C’est la patiente/cliente qui fait des choix (processus déjà très « empowerant ») : elle décide des scènes à traiter, elle accueille ses pensées et ressentis, et grâce à ses ressources elle retrouve une cognition positive, celle qui lui semble juste à elle, selon son propre ressenti. Elle retrouve sa voix intérieure, sa vérité, celle qui lui redonne la conscience de sa propre valeur en tant qu’être humain. Et la vision de la thérapeute n’y a pas sa place ; elle reste une accompagnante, une facilitatrice. Après des mois, des années de silence dans la honte et la culpabilité, c’est toujours la voix de la cliente/patiente qui se fait entendre, enfin.