Comment la thérapie narrative nous aide à ne plus dire « je suis traumatisé·e » mais « j’ai vécu un trauma ».

L’épreuve d’un trauma laisse une empreinte profonde. C’est un séisme intérieur qui peut nous faire croire que tout notre paysage a été redéfini par lui. L’onde de choc est si forte qu’elle en vient parfois à coloniser notre présent, mais aussi notre futur. On ne pense plus, on ne vit plus, on ne se présente plus aux autres, on ne se projette plus dans l’avenir qu’à travers ce prisme. Le trauma devient alors plus qu’un souvenir : il devient une identité. J’ai ainsi souvent entendu en cabinet cette phrase, lourde de sens et de douleur : « Je suis traumatisé·e ».

Cette phrase, bien que totalement légitime, est aussi un piège. En disant « je suis », nous fusionnons notre être tout entier avec l’événement traumatique. Le trauma n’est plus quelque chose qui nous est arrivé, il devient ce que nous sommes. Il devient l’étiquette principale sous laquelle toutes nos autres facettes (parent, partenaire, ami·e, créatif·ve, professionnel·le, rêveur·se…) viennent se ranger.

Et si nous pouvions changer la grammaire de notre histoire ? C’est précisément ce que propose la thérapie narrative.

Externaliser le trauma : la première étape pour respirer

L’approche narrative, comme son nom l’indique, considère que nous donnons du sens à nos vies à travers les histoires que nous nous racontons sur nous-mêmes. Un trauma, par sa violence, peut s’imposer comme l’histoire unique et dominante, effaçant toutes les autres.

Le premier geste thérapeutique, fondamental et libérateur, est ce que nous appelons l’externalisation.

Il s’agit de séparer la personne du problème. Car en thérapie narrative, la personne n’est pas le problème ! Mais le problème est le problème. Concrètement, nous allons commencer à parler du Trauma comme d’une entité extérieure qui a eu une influence sur votre vie. Ensemble, nous allons enquêter et l’interroger :

  • Qu’est-ce que ce Trauma vous a fait croire sur vous-même et sur le monde ?
  • Quelles sont ses « règles » ? (Par exemple : « Ne fais confiance à personne », « Reste sur tes gardes »…)
  • Comment a-t-il réussi à vous isoler ? À éteindre vos joies ?

Ce faisant, vous n’êtes plus l’objet passif du trauma. Vous vous placez à côté de lui pour l’observer. Le « Je suis traumatisée » se transforme peu à peu en : « J’ai vécu une expérience traumatique, et voici les effets qu’elle a eus sur ma vie. » Ce glissement, en apparence simple, restaure votre capacité d’agir.

À la recherche des « exceptions » : ces moments où vous avez résisté

Le récit du trauma est souvent celui de l’impuissance. Pourtant, même dans les moments les plus sombres, il existe ce que la thérapie narrative appelle des « moments d’exceptions » : des instants, même infimes, où vous avez résisté à l’emprise du trauma.

Il ne s’agit pas d’actes héroïques, mais de petites étincelles de vie et de dignité :

  • Avoir réussi à apaiser sa respiration pendant une crise d’angoisse.
  • Avoir appelé un·e ami·e malgré l’envie de s’isoler.
  • Avoir posé une limite, même des années après.
  • Avoir protégé une part de ses rêves et de ses espoirs.
  • Avoir refusé ce qui se passait, ne serait-ce qu’en vous « dissociant » de l’agression

Ensemble, nous déterrons ces moments précieux et nous les documentons. Nous nous faisons archéologues et collectons ensemble chacun d’eux comme une preuve que le Trauma n’a jamais eu le pouvoir total sur vous. Ils sont les fondations de ce que nous allons construire : une contre-histoire.

Réécrire sa vie : le trauma comme chapitre, et non comme titre

Cette contre-histoire n’efface pas le trauma. Elle ne le nie pas. Elle le replace à sa juste place.

Oui, ce chapitre de votre vie a été douloureux, souvent même dévastateur. Il fait partie de votre livre. Mais il n’est pas le titre du livre. Il n’est pas son résumé au dos de la couverture. En mettant la lumière sur vos actes de résistance, vos valeurs, vos forces et vos ressources, nous rédigeons tous les autres chapitres. Ceux qui parlent de votre courage, de votre capacité de survie, de vos espoirs et de ce qui est important pour vous.

Le but de cet accompagnement est de vous aider à vous réapproprier votre récit. De simple personnage de votre histoire, vous en redevenez l’auteur·e. Vous choisissez les mots, les perspectives, et surtout, vous allez pouvoir écrire la suite.

Ce récit redécouvert, c’est celui de votre dignité. Une histoire plus juste, plus complète et qui vous ressemble davantage. Et elle mérite d’être racontée. Et elle mérite d’être racontée.